27/02/2014
“Configuration du dernier rivage“ ou le non poétique de la poésie de Michel Houellebecq
Le printemps 2013 marque un double retour dans la vie de l’un des plus célèbres romanciers contemporains, Michel Houellebecq. Après plusieurs années passées à l’étranger, l’auteur des Particules élémentaires, tel son avatar du roman honoré par le prix Goncourt 2010 (La carte et le territoire), quitte la côte sud-est de l’Irlande pour s’installer de nouveau en France. Connu notamment grâce à sa production romanesque, Houellebecq revient en outre à un genre littéraire qu’il avait délaissé quelque peu ces derniers temps : la poésie. Intitulé Configuration du dernier rivage, son dernier recueil de poèmes vient de paraître chez Flammarion.
Composé de cinq parties aux titres bien houellebecquiens (l’étendue grise, week-end prolongé en zone 6, mémoire d’une bite, les parages du vide, plateau), l’ouvrage aborde des thèmes qui depuis toujours obsèdent la création littéraire de l’écrivain : l’amour physique, la solitude, la décrépitude progressive du corps et la mort. De même que les romans de ce prosateur, de même Configuration du dernier rivage dépeint une image affligeante de notre société individualiste, «ce supermarché de corps où l’esprit est à vendre », où « il y a peu qui aiment et très peu qui se donnent », où « nous n’avons plus vraiment l’impression d’être humains »… D’autres motifs chers à Michel Houellebecq reviennent. Parmi eux, l’extrême simplicité de la nature masculine décrite dans un poème à tonalité mi-pornographique : « Les hommes cherchent à se faire sucer la queue/ Autant d’heures dans la journée que possible/ Par autant de jolies filles que possible.// En dehors de cela, ils s’intéressent aux problèmes techniques. » L’insupportable sentiment de vide spécifique de la société post-soixante-huitarde : « Un Adam sans Ève, ce n’est pas grand-chose/Soupirait Adam devant l’émission érotique de TF1./ Il aurait dû se marier, avoir des gosses ou quelque chose ;/ Les chiens ont beau être gentils, un chien reste un chien. » Et, leitmotiv de la réflexion houellebecquienne, le triste caractère de la condition de l’homme irrémédiablement destiné à mourir : « Pendant quelques années encore/En compagnie de mon petit chien […]/Et de l’augmentation régulière des souffrances/En ces années qui précèdent immédiatement la mort. »
Cette parenté avec la prose se manifeste de surcroît au niveau stylistique du recueil. Rares sont effectivement les passages imprégnés de lyrisme pur. Si « le Baudelaire de supermarché » n’évite pas de faire des confessions intimes, il se sert toutefois d’un langage de tous les jours quasiment privé de tournures soutenues. La présence de différentes marques de produits mérite d’être signalée. Loin de tourner le dos à la réalité consumériste, Houellebecq n’hésite pas à avoir recours à des noms commerciaux – tels que Betadine Scrub, Halcion ou Volvic – pour dépeindre la banalité de son quotidien. Autres éléments stylistiques font preuve du doute dans la possibilité d’une poésie lyrique. Non seulement le poète fait souvent appel au vers blanc, mais ses strophes rimées – où « Calliphora » se combine avec « pas », « filles » avec « brillent » et « skaï » avec « Kookaï » – se caractérisent par une technique peu subtile, voire simpliste. Configuration du dernier rivage met enfin en doute la valeur de la langue française, étant donné que çà et là, un mot, un vers, une strophe entière sont écrits en anglais. Quelles sont les raisons de cette stylistique bien particulière ?
Le non poétique de la poésie houellebecquienne apparaît comme un signe de notre époque où l’aspect pragmatique prévaut tellement sur la dimension esthétique que faire de la poésie dans l’ancien sens du terme semble relever de l’absurde. Dans ce monde postmoderne sans solides références morales et esthétiques, la poésie peut-elle vraiment demeurer lyrique ?
Texte & photo : Paweł Hładki