05/10/2016
“Sous l’aile d’un ange” de Jerzy Pilch : amour, alcool et littérature
Né en 1952, Jerzy Pilch compte parmi les romanciers les plus importants de la littérature polonaise extrême-contemporaine. Toutefois Sous l’aile d’un ange (2000) constitue son seul texte disponible dans la version française.
Pilch fait ses débuts littéraires en 1988 avec un recueil de récits intitulé Confessions d’un auteur de la littérature clandestine érotique (Wyznania twórcy pokątnej literatury erotycznej) paru à Londres grâce à l’auteure légendaire de textes de chansons, Agnieszka Osiecka, qui introduit le manuscrit pilchien en Angleterre sous le manteau. Récompensé par le Prix littéraire de la fondation Kościelski, cet ouvrage fait surtout connaître Jerzy Pilch dans le milieu littéraire.
L’écrivain gagne considérablement en popularité avec la parution du Registre des femmes adultères (1993) et d’autres textes remarquables – Autres voluptés (1995), Monologue dans une tanière de renard (1996) et Mille villes tranquilles (1997) – qui sont de véritables bijoux de la fiction polonaise d’après la transformation politique de 1989. La notoriété de Pilch est enfin couronnée par l’obtention du prix littéraire le plus prestigieux en Pologne, le prix NIKE, qu’il reçoit en 2001 pour Sous l’aile d’un ange. Ce roman est représentatif de toute l’œuvre pilchienne : les motifs présents dans ce texte – l’amour, l’alcool et la littérature – alimentent l’ensemble de la création du célèbre romancier.
Prénommé Juruś (diminutif de Jerzy), le personnage principal de Sous l’aile d’un ange est un ivrogne rongé par sa dépendance de plus en plus insupportable. Quasiment reclus de la société, il se résigne à une vie solitaire rythmée des seules sorties régulières qui lui sont nécessaires pour s’approvisionner en alcool. Et il boit tout en regrettant de gaspiller des sommes considérables qui lui seraient utiles pour l’achat de produits de première nécessité, tels qu’une machine à laver (p. 68).
Ça et là, Juruś tente de s’arracher des griffes de la l’alcool. Dans ce but, il recourt à une institution poétiquement appelée « le service des éthylos lyriques ». Le séjour au sein de cet organisme hospitalier est l’occasion de portraiturer la condition d’individus incapables de faire face aux difficultés de l’existence sans noyer leurs craintes dans l’alcool. Dans la galerie de personnages dépeints par le narrateur, on trouve entre autres La Reine du Kent, Christophe Colomb le Découvreur ou encore Don Juan. Leurs destins nous font autant rire qu’ils nous émeuvent : on est amusé par leurs péripéties et en même temps portés à la compassion, tant leurs histoires douces-amères suscitent de sentiments contradictoires.
Sous l’aile d’un ange est avant tout un journal du combat personnel contre l’alcoolisme, cette dépendance, qui, tel une tare héréditaire, se transmet dans la famille du narrateur de génération en génération. Pilch choisit de raconter l’histoire de son personnage, les aléas de sa vie, ses combats, au premier abord perdus d’avance, par le biais de la triade thématique (alcool, amour, littérature) qui l’inspire depuis toujours, tout en proposant une configuration originale de ces trois sujets. Car l’alcool que Juruś perçoit initialement comme une méthode d’escapisme innocente, se transforme en une puissance destructrice. Il s’apparente dans Sous l’aile un ange à un trou noir qui engloutit progressivement le héros et qui annonce sa déchéance imminente. Seuls deux moyens antidotiques seraient capables de l’arracher à ce gouffre de plus en plus profond : la littérature et l’amour. Mais suffiront-ils pour s’extirper de cette dépendance quasiment enracinée dans les gènes ?