Histoire du théâtre
Le théâtre de la Renaissance
Notes par Gilbert JULIEN
Renaissance : A ce formidable bouleversement de la civilisation le théâtre semble d’abord rester étranger. Comme si rien n’avait changé dans la vie matérielle et économique. Comme si les grandes découvertes, Copernic et la méditation des humanistes n’avaient pas imposé une nouvelle image de l’homme et de sa place dans le monde, la vie théâtrale du XVI° siècle se poursuit à l’identique du XV° siècle et propose les mêmes spectacles le « menu peuple » mais aussi pendant longtemps les clercs, les intellectuels se pressent devant les tréteaux pour voir les jeux édifiants, moraux ou joyeux du moyen âge tardif qu’on les combine (un mystère ou une moralité une farce, souvent) ou qu’on les représente seul, non seulement les genres médiévaux passent tels quels au XVI° siècle, mais il y restent vivants parfois jusqu’à l’aube du siècle suivant. Ni naissance ni renaissance en ce domaine..
Pourtant ce théâtre de forme médiévale ne peut échapper au changement ni aux révolutions qui marquèrent profondément et durablement la société. L’imprimerie ou la multiplication des comédiens et des troupes professionnels surtout amenèrent de sérieuses inflexion dans la diffusion et la réception de tels spectacles. Mais les genres médiévaux ont subi le contrecoup des déplacements et failles culturels et religieux qui traversèrent le XVI° siècle ; ils se virent ignorés ou utilisés, contestés, voire interdits. Au XVI° siècle les acteurs amateurs, écoliers ou comédiens professionnels mélangent dans leurs représentations le religieux et le profane , on jouait à la suite histoires c’est-à-dire mystères et farces ou jeux moraux et farces joyeuses ;
La Renaissance voit naître la volonté des souverains de mieux contrôler les divertissements populaires subversifs, notamment les sotties qui ridiculisaient régulièrement les membres de la famille royale et de l’Église, avec parfois un contenu politique particulièrement partisan. C’est cependant l’Église, échaudée par la Réforme, qui va promulguer la première interdiction complète : c’est celle des mystères, en 1548. La même année, la première « comédie régulière », à l’imitation de l’antique, est présentée devant le roi Henri II à Lyon : il s’agit de La Calandria, à laquelle le roi et la reine font un triomphe, ainsi qu’à son instigateur Maurice Scève, montrant bien la préférence du pouvoir pour les genres « nobles » hérités de l’antique, et surtout sans référent social contemporain. Plusieurs représentations royales vont par la suite installer la tragédie comme divertissement de cour, mettant à l’occasion en scène la famille royale elle-même[1]. La comédie ne connaîtra pas le même honneur, et après quelques représentations royales tantôt glorieuses tantôt calamiteuses des spectacles d’Etienne Jodelle notamment, tous les types de comédies furent interdits par édit du Parlement de Paris de 1588 à 1594, scellant ainsi le destin du théâtre médiéval et populaire. Cette période vit cependant refleurir l’art du mime comique, celui-ci n’étant pas soumis à la nouvelle loi, et la farcecontinua d’exister sous des formes plus ou moins clandestines.
Definition de la Farce :
« La farce est un genre dramatique qui a comme but de faire rire et qui a souvent des caractéristiques grossières, bouffonnées, et absurdes. »
En 1549, Joachim du Bellay encourage les écrivains à restaurer le modèle antique. Si le texte du théâtre médiéval était le produit d’une commande passée par un organisateur à un écrivain anonyme (par exemple pour les mystères), le rapport littéraire s’inverse alors : ce qui devient premier, c’est l’œuvre, l’écriture dramaturgique, mais aussi les dramaturges, qui ne sont plus anonymes et s’affirment comme écrivains, en brandissant à l’occasion leur portrait en tête du livre, habitude fréquente chez les poètes de la Pléiade.
Ce nouveau théâtre renouvelle les sujets, ceci lui permet de s’ouvrir à de nouveaux horizons parfois délaissée par le théâtre médiéval, où le mystère invitait seulement le croyant à délaisser le pêché et à réintroduire un univers philosophique.
À l’époque, trois ouvrages sont connus par les lettrés, l’Art poétique d’Horace traduit en 1541, l’Art de la grammaire de Diomèdeet le traité De la tragédie et de la comédie de Donat. Les principes d’Horace sont généralement appliqués : pièces de 1500 à 2000 vers, majoritairement en vers, découpées en cinq actes avec dans la tragédie interventions de chœurs qui marquent des pauses lyriques à variations multiples. Les dramaturges grecs tels Sophocle et Euripide sont traduits mais c’est surtout Sénèquedont on admire le style et la rhétorique qui va être imité par les premiers tragiques. Pour la comédie, c’est surtout Térence qui servira de modèle, devant Plaute.
La Poétique d’Aristote, traduite pour la première fois en 1571, n’est apparemment que très peu lue par les dramaturges du XVIesiècle, et aucun de ses concepts n’est utilisé par les théoriciens (notamment la catharsis et la mimesis, qui seront centraux à l’âge classique), ce qui autorise à penser qu’elle n’est dans tous les cas pas considérée comme une référence normative majeure. Seuls Jacques Grévin et Jean de La Taille y font vraiment référence, le premier très allusivement dans son Brief Discours pour l’intelligence de ce Théâtre,
Définition de la sotie
La sotie, ou sottie, est une pièce politique, d’actualité, jouée par les Sots ou les Enfants-sans-Souci. Les Sots fondent leur système de satire sur cette hypothèse que la société tout entière est composée de fous. Par-dessus leur costume, ils revêtent les attributs qui désignent tel ou tel état, telle ou telle fonction : le juge, le soldat, le moine, le noble, etc.
M. Em. Picot, dans son étude sur la Sotie en France (in-8, 1878), compte vingt-six pièces de ce genre. Il fait remarquer que la sotie était souvent représentée avec une farce et une moralité, dans des spectacles multiples ; dans ce cas on commençait par la sotie, sorte de parade bouffonne. La Sotie n’eut pas toujours pleine liberté ; sa plus brillante période se place sous Louis XII.
En 1508, les Enfants-sans Souci jouent le Nouveau Monde, dont l’auteur probable est André de la Vigne; la pièce est relative à l’abolition de la Pragmatique Sanction de Bourges par Louis XI, et aux espérances de son rétablissement par Louis XII.
En 1512, Pierre Gringoire, ou Gringore, fait représenter le Jeu du Prince des Sots, pièce dans laquelle il attaque violemment, avec la permission du roi et en sa présence, le pape Jules II et l’Église. Cet ouvrage comprend un grand nombre de personnages, entre autres : le Prince des Sots figure le roi Louis XII ; Mère-Sotte, l’Église ; Sotte-Commune, c’est le peuple, etc. Le Jeu du Prince des Sots est une série d’allusions satiriques, d’actualités vivement exprimées par les contemporains. Elle était suivie d’une moralité intitulée : Peuple français, Peuple italique, l’Homme obstiné, consacrée elle aussi aux démêlés de Louis XII avec le pape Jules II ; celui-ci étant l’Homme obstiné. Plus que jamais donc se manifeste le formidable appétit d’images théâtrales du public. Ce que nous saisissons des conditions de la représentation des mystères au XVI° siècle répète le plus souvent ce que nous savons du XV°° siècle Mais s’il est un point sur lequel insistent les documents qui se font alors plus nombreux et plus détaillés c’est la richesse du spectacle costumes décors machineries ; une mise en scène somptueuse enchâsse ces longs mystères des longues Histoires dans une mise en scène merveilleuse voilà ce qu’on continue d’attendre du théâtre populaire des mystère des comptes rendus ou le chroniques…
La comédie quant à elle, qui voulut rompre avec la tradition médiévale, ne s’imposa pas, on n’en compte guère plus d’une vingtaine. Elle résulte également de l’imitation des pièces de l’antiquité et essentiellement du comique latin Térence, un des auteurs les plus lus du XVIe, les grecs étant peu connus ou trop politiques (notamment Aristophane). Elle emprunta également à la Commedia erudita, comédie italienne florissante dans la première partie du XVIe elle-même issue de la comédie antique de Plaute et de Térence, représentée en Europe et à la cour de France.
Tout comme la tragédie, la comédie se veut reflet, miroir de la société. Elle raconte comme chez les latins les amours contrariés de jeunes filles et gens mais transposées dans la France de la Renaissance, avec parfois des références à l’actualité telles les guerres de l’époque : les lieux sont parfois familiers du public, certaines pièces se déroulent à Paris, et le cadre permet à l’occasion de peindre le milieu bourgeois à travers l’intrigue. Les français, comme les italiens ont adapté leur théâtre aux mœurs de leur temps. On peut distinguer deux périodes dans cette production théâtrale, la génération de la pléiade (Grévin, La Taille, Belleau…) qui illustre une approche nouvelle de la Comédie et en ouvre la voie ; on y trouve une intention militante et polémique et parfois polémique (notamment L’Eugène de Jodelle), puis la seconde génération, à partir des années 1570 qui ne cherche plus à révolutionner le genre (Pierre de Larivey, Odet de Turnèbe…) mais qui impose la comédie à l’italienne dont l’influence restait très discrète chez les premiers, plus patriotes.
On peut également évoquer la commedia dell’arte, terme inventé par Goldoni pour désigner cette forme de dramaturgie en 1750, fit son apparition en France et diffusa son théâtre qui connut un grand succès et certains acteurs une notoriété. À partir de canevas ou sogetto esquissés sommairement, on improvise des spectacles, le travail de l’acteur étant un travail de composition et de jeu qui met en relief son talent et où les rôles se répartissent en types. Chaque type se reconnaît par ailleurs au masque qu’il peut porter, certains personnages en étant dépourvus. Quant à l’amour, il est l’unique enjeu de la pièce.
Mais, un siècle avant Goldoni, un dramaturge vénitien du XVIe siècle, Angelo Beolco, dit Ruzzante, inventait une nouvelle forme de théâtre. Dario Fo, qui a une admiration sans bornes pour celui qu’il considère comme son « plus grand maître avec Molière », lui rendit un hommage appuyé dans le discours qu’il prononça à Stockholm, en 1997, pour la réception du Prix Nobel de littérature. Pour lui, Ruzzante est « un extraordinaire homme de théâtre de ma terre, peu connu … même en Italie. Mais qui est sans aucun doute le plus grand auteur de théâtre que l’Europe ait connu pendant la Renaissance avant l’arrivée de Shakespeare[5]. » Il insista sur la qualité du théâtre de Ruzzante, qu’il considère comme « le vrai père de la Commedia dell’arte, qui inventa un langage original, un langage de et pour le théâtre, basé sur une variété de langues : les dialectes de la Vallée du Pô, des expressions en latin, en espagnol, même en allemand, le tout mélangé avec des onomatopées de sa propre invention[5]. »
Les troupes
Le premier théâtre de cette époque est construit à l’Hôtel de Bourgogne par les Confrères de la Passion et de la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ en 1548, qui le louent à des troupes ambulantes tout en gardant les recettes. En 1624, Pierre Le Messier dit Bellerose parvient a installer sa propre troupe à l’Hôtel de Bourgogne, et en 1628, les comédiens du roi s’y installent. Alexandre Hardy et Valleran Le Conte y produisent plus de six cents pièces souvent d’influence espagnole et italienne.
En 1634, le Théâtre du Marais, concurrent de l’Hôtel de Bourgogne, accueille une troupe dirigée par Guillaume Desgilberts dit Mondory. Il accueille notamment la création du Cid de Pierre Corneille en 1637, la pièce trouve un grand succès auprès du public malgré un certain scandale: l’écriture ne respectant pas entièrement les règles classiques…
Le théâtre du Marais brûle en 1644 et sa reconstruction, fortement inspirée des théâtres italiens, permet le début de la mode des pièces à grand spectacle, pièces à machines, dans lesquelles les mécanismes complexes des décors prennent le pas sur l’intrigue et l’écriture littéraire.
Les œuvres
Le corpus théâtral renaissant est particulièrement hétérogène, et s’il comporte à peine une vingtaine de comédies régulières et à peine plus de tragédies, il est enrichi par de nombreuses pièces de genres variés et souvent transversaux, plus ou moins inspirées de l’antiquité.