09/10/2012
Manuela Gretkowska – “Trans” (extrait)
***Ce texte a été publié par l’entremise de sa traductrice Isabelle Jannès-Kalinowski et de la maison d’édition Świat Książki.
Cette année-là, l’été frais avait débuté de façons diverses. Le pape était venu en Pologne. En soutane blanche, il avait l’air d’un grand chamane du catholicisme, il leva les mains dans un geste de bénédiction. Et les cieux s’ouvrirent. Il plut, la pluie du siècle. Le Sud du pays fut inondé, Wrocław était sous les eaux. La plage où je m’étais cachée du vent derrière une petite butte de sable, était apparemment le dernier morceau de terre entre le flux pressant des inondations et la mer. Encerclée par les eaux, j’avais un alibi pour attendre le pire. Je ne m’étais pas humiliée à revenir vers Laski.
Dans cette maison de vacances – une villa en béton fraîchement construite, je louais le rez-de-chaussée, Ita avait payé pour l’étage. Elle avait trouvé cette location, læaissé ses bagages et était rentrée à Berlin. Elle appelait tous les jours pour dire qu’elle viendrait, sans faute, mais qu’elle avait quelque chose à régler à l’école. Elle n’arrêtait pas d’appeler le soir, la voix chancelante de tristesse. Laski buvait la nuit, lui aussi. Je me disais alors qu’il allait m’appeler encore saoul. Le matin peut-être, quand il aurait dessoulé, ou plutôt à midi, ou encore dévasté par la mélancolie d’un soir d’été. J’étais tout le temps joignable, à l’affût prête à sauter sur mon téléphone, je sortais rarement de la maison. Lui, pouvait téléphoner d’où il voulait, il avait un nouvel appareil – un portable. Ossario, le producteur franco-mexicain, le lui avait donné avant le tournage de son film. Une matraque d’un kilo avec antenne, une ci-bi transportable qui lui servait à asséner des « Va te faire foutre… » à ses interlocuteurs.
Ses insultes et ses va te faire foutre, j’ai commencé à les entendre juste après notre première nuit d’amour. Le matin, avant que la femme de ménage arrive, il me vira de son appartement parisien. On pénétra alors au saut du lit dans des décors mièvres de série B : le quartier Saint-Germain à l’aube, le boulevard, le Café de Flore. J’étais la star, le metteur en scène ne pouvait pas me quitter. Appuyés au taxi qui attendait, nous nous embrassâmes. Le chauffeur arabe tirait patiemment sur sa cigarette. Il fumait et nous nous étreignions à un rythme de réanimation diabolique. Un, deux, trois coups de hanches sur le capot de la bagnole et la fumée sortait de la fenêtre baissée.
– Ça pourra servir. Laski fourra maladroitement de l’argent dans le décolleté de ma robe dégrafée. Les billets glissèrent et se collèrent à mon ventre humide. – À ce que tu reviennes plus tôt.
… de Londres où un producteur polonais louche voulait me voir. Je n’étais personne, je partis donc là-bas sans rien attendre et pour voir se fermer derrière moi les portes des cabinets anglais, des restaurants bon marché, de mon hôtel minable et même celle de la cabine téléphonique trop étroite du ferry à laquelle je m’agrippais comme au couvercle d’une vielle malle dérivant la nuit sur la Manche. De mon autre main je cherchais à tâtons dans le noir la fente où glisser les pièces. Le grincement du ferry qui tanguait se mêlait à la tonalité du téléphone
– Allô ? accueil tendre. Laski attendait mon coup de fil.
Il baissa la musique. La nuit, il éteignait la lumière, allumait de l’encens et mettait de la musique classique à fond : Haydn, Haendel, Bach.
– C’est moi… me présenté-je. – Allô ? Allô ? – Tu m’entends ?! je m’enquiers plusieurs fois. – Allô ?! J’ai le trac et je confesse :
– Je t’aime.
Un jour je lui raconterai, un jour, très bientôt, quand il me demandera si moi aussi. Je gueule :- Je t’aime !!!
Lui, ne m’entend pas et crie encore plus fort :
– Va te faire foutre ! Fuck off ! Fous le camp, pauvre con ! Je vais te casser la gueule, connard !!! Je vais t’éclater !
dessin : Agata 'Asabolt' Sierzchuła