27/01/2022

"The Promise" de Damon Galgut

Profondément ancré dans la réalité sud-africaine des trois dernières décennies, le lauréat du prix Booker de l'année dernière, The Promise de Damon Galgut, raconte l'histoire d'une famille d'agriculteurs, les Swarts, dont le destin se déroule au rythme de quatre enterrements consécutifs, de changements politiques et d’une question récurrente d'une promesse non tenue, une fois faite par Manie à sa servante noire prénommée Salome. À l’article de la mort, elle souhaite que la petite maison en ruine située de l'autre côté de la propriété rurale appartienne à sa domestique indigène. 

À peine présent dans la narration, l'engagement éponyme laisse place à l'histoire des personnes capables de décider si le vœu de la défunte sera un jour exaucé ou oublié, si Salomé possédera la maison délabrée, ou restera à la merci de ses maîtres dans la crainte de devenir sans-abri. Chapitre par chapitre, l’auteur raconte la vie du mari de Manie et de ses trois enfants – l’infidèle Astrid, hanté par son passé trouble Anton et la mystérieuse, libre d’esprit Amor – sans évoquer d’une quelconque manière l'existence de Salomé. 

On est tentés de chercher un sens caché dans ce choix narratif. Tout comme les indigènes d'Afrique du Sud, Salomé semble être privée de voix et reléguée au second plan. La question de la promesse éponyme, pourtant central pour le roman, est rarement soulevée par les membres de la famille dont l'égocentrisme monopolise entièrement le récit. Il est à noter qu'ils doivent, un à un, disparaître avant que Salomé ne devienne officiellement propriétaire légal de sa demeure modeste. Une analogie entre la technique de Galgut et l'histoire de son pays d'origine vient naturellement à l'esprit. La réalité sud-africaine n'a-t-elle pas été, pendant des siècles, contrôlée et racontée par la classe dominante ? Les citoyens noirs ne vivaient-ils pas, jusqu'à récemment, dans l'ombre de leurs compatriotes blancs ? L'abolition de l'apartheid n'a-t-elle pas finalement entraîné le changement dans le récit de l'histoire nationale ?

Toute critique de ce livre serait incomplète sans analyser, même succinctement, le style narratif de Galgut, d’autant qu’il s’agit sans doute de l’attribut le plus intéressant de son roman. Nous sommes confrontés à une sorte de courant de conscience poussé à l'extrême. Pas toujours soucieux de ses lecteurs, l’écrivain ne cesse de changer de focalisation, alterne librement la première et la troisième personne, amalgame les dialogues et le texte, parfois sans même préciser le nom de l’énonciateur. D'autres aspects stylistiques ne facilitent pas la réception. Ainsi Galgut se permet de faire des commentaires métalittéraires, ce qui, certes, souligne la puissance démiurgique de l'écrivain, exclut toute prétention du récit à la vérité, mais complique ce texte déjà très complexe et, par là même trouble encore plus la communication entre l'écrivain et le lecteur. Un effet similaire est produit par l'introduction de nouveaux personnages : selon la focalisation, l'auteur a tendance à les appeler par des noms différents. Vu cette spécificité stylistique, apprécier l'écriture de Galgut demande à la fois du temps et des efforts. D'abord déconcertés, on s'habitue peu à peu à ce récit hors du commun pour enfin apprécier son originalité.

Malgré la structure compliquée et parfois difficile à suivre, The Promise vaut sans aucun doute la peine d'être lu. Grâce à son contenu captivant et à sa technique innovante, le roman de Galgut s'impose comme l'un des livres anglophones les plus importants de ces dernières années.