12/06/2022

"Anéantir" de Michel Houellebecq

Anéantir - réduire à rien ou plonger dans un état de désespoir complet. Non sans raison Michel Houellebecq choisit cet infinitif à la valeur injonctive pour le titre de son huitième roman. Pour s’exprimer à nouveau sur une loi fondamentale de la nature : la détérioration progressive et inévitable du corps qui transforme tout être vivant en poussière. Pour mettre en lumière le plus grand tabou de l’Occident, la mort, et produire ainsi chez ses lecteurs un effet de l’anéantissement.

On est effectivement anéantis par l’omniprésence des thèmes liés à la fragilité, à la médiocrité, à la brièveté de la vie humaine, par l’importance du motif memento mori qui ne cesse de hanter les pages de ce roman, par l’impossibilité, après l’avoir lu, de continuer à vivre dans le déni de la mort dont, à force d’être influencés par la société de consommation, on a trop souvent tendance à refuser de tenir compte. L’infarctus cérébral qui paralyse entièrement le corps, la souffrance psychique que seul le suicide semble pouvoir soulager, le cancer de la gencive qui rend toute chance de survie déraisonnable… La lecture d’Anéantir fournit de nombreuses occasions de penser à l’imprévisibilité, à la vanité, au caractère éphémère de notre existence.

Face à cette fatalité désolante, comment ne pas sombrer dans le désespoir ? Michel Houellebecq ne prévoit que deux antidotes susceptibles d’éloigner le spectre de l’accablement moral : l’amour et la religion. Le sentiment amoureux peut atténuer le malaise existentiel et, en cas de maladie, rendre les souffrances physiques plus supportables. Le cas du protagoniste, Paul, et de son père, Édouard, deux hommes atteints de maladies inguérissables corroborent cette constatation. À travers l’exemple d’Aurélien, le romancier avertit cependant ses lecteurs : les mauvais choix sentimentaux se révèlent destructeurs jusqu’à nous anéantir entièrement de manière à exclure toute possibilité d’éprouver le bonheur, voire l’éventualité de se refaire une vie après la rupture.

La religion, seule capable de garantir l’immortalité, réconforte et aide à minimiser la conscience insupportable de la mort. Cette idée bien présente dans l’œuvre de Michel Houellebecq depuis Les Particules élémentaires est également exprimée dans son dernier roman. Deux personnages féminins portés par la foi, Cécile et Prudence, incarnent parfaitement cette perspective religieuse intrinsèque de la fiction houellebecquienne. Dans un monde d’individus incapables de trouver un sens à leur existence, la première femme se caractérise par une sérénité étonnante, par l’optimisme, par une détermination sans bornes à faire du bien. Son catholicisme apparaît ainsi comme un remède contre les tergiversations existentielles propres à ses contemporains.

La pratique du viccanisme, un culte mystique dont Prudence est adepte produit des effets similaires. Cette croyance néo-païenne semble lui redonner vie et change son caractère au point de ressusciter sa relation amoureuse avec Paul. Quoique incroyant, cet homme fait d’ailleurs le geste d’allumer des bougies dans une église voisine dans l’espoir de se réconcilier avec sa compagne. Que ce soit grâce au catholicisme, au viccanisme ou au pur hasard, son vœu est exaucé et leur couple connaît un nouveau départ. Notons à cette occasion que la pratique religieuse de Prudence fait penser au troisième sens du verbe éponyme : absorber l’être particulier dans le Tout universel. Autrement dit : atteindre le nirvana. Une autre preuve de l’importance du religieux pour la conception romanesque de Michel Houellebecq.

Loin de se limiter à la problématique de l’anéantissement, Michel Houellebecq signe un roman extraordinaire qui ravit par la richesse thématique et l’ambition à rendre compte de l’état de la société française actuelle. À lire absolument.