30/01/2023

"Connemara" de Nicolas Mathieu

Région irlandaise connue pour la beauté de ses paysages, Connemara est aussi le titre du dernier roman de Nicolas Mathieu qui, en 2018, a remporté le prix Goncourt pour Leurs enfants après eux. Le choix du titre de son ultime texte se réfère à une chanson de Michel Sardou : Les Lacs de Connemara. Sorte de leitmotiv, ce hit des années quatre-vingt accompagne les personnages du roman dans leurs péripéties quotidiennes et symbolise le lien affectif à un lieu familier (en l’occurrence, une petite bourgade de l’Est de la France) et la nostalgie d’un temps révolu associé à l’enfance (lorsque la chanson en question a connu un grand succès).

Nicolas Mathieu juxtapose deux destins de prime abord bien différents : celui d’Hélène, cadre supérieure diplômée d’une école réputée, et de Christophe, ancienne star locale de hockey qui, après une jeunesse glorieuse, gagne sa vie en colportant de la nourriture pour chiens. La première a tout donné pour s’échapper à cette existence provinciale monotone, à ce bled maudit où, de toute apparence, rien ne la retenait. Le second a toujours vécu au jour le jour sans se poser trop de questions, sans imaginer sa vie dans un endroit plus palpitant. Peu importe les échecs et les succès du passé ou la situation financière et matrimoniale actuelle, tous deux, âgés d’à peu près quarante ans, ne sont pas entièrement satisfaits de leur vie. Quand, après plusieurs années, leurs chemins se croisent à nouveau, un nouveau départ amoureux semble être possible. Les souvenirs communs et le désir partagé de recommencer tout à zéro suffiront-ils cependant pour permettre l’épanouissement de leur couple ?

Tout comme dans Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu plonge ses lecteurs dans un monde éloigné des grandes métropoles où les mois, les saisons, les années se suivent sans surprises majeures, où les gens se contentent d’une existence banale dépourvue d’ambitions démesurées et, loin de vouloir conquérir le monde, ils rêvent simplement de trouver du travail, d’avoir un toit sur la tête, de fonder une famille. Nicolas Mathieu excelle non seulement à dépeindre cette réalité provinciale – monotone et triviale semble-t-il – mais à la rendre captivante.

L’auteur fait en outre preuve de ce talent romanesque dans les scènes qui traitent de l’adolescence. Avec une rare acuité, il sait décrire la psychologie de cette période difficile, lorsque les changements hormonaux, telle une épice magique, intensifient d’autant plus diverses expériences souvent vécues pour la première fois. Sans condescendance, moquerie ni attendrissement, Mathieu décrit les états d’âme de ces jeunes personnages qui font face à des problèmes apparemment banals (amitié, conflits domestiques ou projets scolaires) et les vivent souvent comme des épreuves existentielles. Les propos du romancier ressuscitent sans difficultés les souvenir de notre propre adolescence. Voilà une preuve d’une écriture inspirée, adroite et efficace.

Même si la construction narrative du roman laisse parfois à désirer (certaines scènes notamment celles de la fin du texte semblent être longues et sans intérêt ; on est par ailleurs agacés par le personnage de la jeune stagiaire, un peu trop stéréotypée), Nicolas Mathieu s’impose avec Connemara comme l’un des auteurs les plus intéressants de la littérature extrême-contemporaine française. Sa carrière littéraire mérite certainement d’être suivie.