09/02/2012

Un quart d’heure de réflexion sur le destin de Szymborska

Ci-gît, comme une virgule démodée

L’auteure de quelques poèmes. La paix éternelle

lui a été accordée par la terre, malgré que son cadavre

n’appartînt à aucun groupe littéraire.

Ainsi rien de mieux sur son tombeau que cette rimaille,

de la bardane et une chouette. Passant, avant que tu t’en ailles,

sort de ta mallette le cerveau d’ordinateur

et sur le sort de Szymborska réfléchit un quart d’heure.[1]

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Le milieu culturel a rendu hier un dernier hommage à la grande poétesse polonaise, Wislawa Szymborska, auteur d’une vingtaine de recueils de poèmes, lauréate d’innombrables prix littéraires dont le prix Nobel en 1996, et, pour beaucoup de lecteurs, une femme de lettres qui les a incités à pénétrer dans les arcanes– aussi complexes soient-ils – de la poésie.

Né en 1923 à Prowent (aujourd’hui Kórnik) Szymborska a débuté avec un recueil Pourquoi vivons-nous (1952) qui outre des poèmes renvoyant à la question posée dans le titre, contient des fragments controversés, écrits à la gloire de Lénine et à celle de la jeunesse communiste alors en charge de la construction de Nowa Huta, ville industrielle répondant aux canons urbanistiques staliniens – absorbée in fine par Cracovie. Loin de tacher la brillante production poétique de l’artiste, ces poèmes politiquement connotés semblent aujourd’hui faire preuve du temps difficile où les créateurs désireux de se faire publier devaient se fendre de vers favorables au pouvoir de l’époque. Aussi quelques opinons défavorables prononcées après le décès de la poétesse par certains politiciens polonais de droite conservatrice, lui reprochant entre autres l’absence du caractère patriotique de ses poèmes, ne sauront-elles sans doute ternir l’inestimable valeur littéraire de l’œuvre de Szymborska.

D’autres recueil, tels que Questions à soi-même (1954), Sel (1962), Grand nombre (1976), Fin et début (1993) ou Instant(2002) confirment le génie de la poétesse et l’inscrivent à jamais parmi les plus importants créateurs polonais de tous les temps. De nature ontologique, sociologique ou quelques fois triviale,  les poèmes de Szymborska abordent une multitude de thèmes vêtis en une esthétique bien particulière qui, tellement rare dans cette forme d’écriture, constitue sans doute l’atout principal de son œuvre. En effet, l’étonnante sobriété stylistique de son travail conjuguant parfaitement avec la simplicité, voire la naïveté apparente de ses pensées frappe avec une force d’autant plus importante lorsqu’on saisit la profondeur du message des textes de la créatrice.

Mais rendons enfin la parole à Szymborska et à son admirable poésie interprétée par Jean-Louis Murat :

*****L’amour au premier regard

Ils pensent tous deux

qu’un sentiment nouveau les a réunis.

Belle est cette certitude,

plus belle encore l’incertitude.

Ils croient que ne se connaissant pas,

rien n’a jamais eu lieu entre eux.

Mais ses rues, ses escaliers, ses couloirs

où depuis longtemps, ils ont pu se croiser.

J’aimerais leur demander

s’ils n’ont pas souvenir

peut-être dans une porte tournante

ou un jour face à face.

Quelque part dans la foule,

au téléphone mais cette une erreur.

Mais je sais leur réponse,

non ils ne s ‘en souviennent pas.

Mais tout commencement

n’est qu’une suite, n’est qu’une suite.

Depuis si longtemps  déjà

le hasard à jouer avec eux.

Pas tout à fait prêts

à se changer en destin.

Qui les rapproche les éloigne

leur coupe la route

Et étouffant un rire se sauve un peu plus loin

Il y a eu des signes,

indéchiffrables qu’importe

Il y a trois ans peut être

ou mardi dernier.

Cette feuille qui a volé

d’une épaule à l’autre.

Un objet perdu ramassé

Qui sait peut-être un ballon déjà perdu

dans les fourrés de l’enfance.

Mais tout commencement

n’est qu’une suite.

Le livre du destin toujours ouvert.

Il y a eu des poignées des sonnettes

ou sur la trace d’une main une autre s’imprimera,

des valises côte à côte à la consigne

Et peut-être une nuit un même rêve

dès le réveil, au matin efface.

Mais tout commencement

n’est qu’une suite.

Le livre du destin

toujours ouvert au milieu.

Mais tout commencement

n’est qu’une suite.

Le livre du destin

toujours ouvert au milieu.

Texte : Paweł Hładki


[1]W. Szymborska, Epitaphe in : Sól, 1962.