01/11/2025

"Les Corrections" de Jonathan Franzen

the corrections

Lorsque j’ai ouvert "Les Corrections", c’est en suivant la recommandation du The New York Times, qui l’avait classé parmi les cent ouvrages les plus importants du XXIᵉ siècle : à la cinquième place, rien de moins. Une telle distinction crée des attentes considérables, et le roman de Franzen, à bien des endroits, y répond avec éclat.

Au centre du livre se trouve la famille Lambert : Enid et Alfred, couple vieillissant du Midwest, et leurs trois enfants adultes : Gary, Chip et Denise. Enid rêve d’un dernier Noël parfait à St. Jude, leur ville natale, tandis que ses enfants, chacun à sa manière, s’enlisent dans la désillusion : Gary, banquier prospère mais dévasté intérieurement ; Chip, universitaire déchu lancé dans des affaires douteuses ; Denise, cheffe brillante tiraillée entre ambition, loyauté et culpabilité. À travers leurs histoires, le roman met au jour les failles qui, peu à peu, ont fissuré une famille jadis soudée par la routine, la foi et le devoir.

Les pages les plus bouleversantes sont celles consacrées à leur enfance. Franzen y déploie une écriture d’une précision tendre, attentive aux moindres frémissements du quotidien. En glissant sans effort d’une conscience à l’autre, il donne l’impression d’un organisme unique dont chaque membre n’existerait qu’à travers les autres. Dans ces passages, le livre respire, palpite, devient presque douloureusement vrai.

La structure non chronologique renforce cette impression. Elle épouse les mouvements de la mémoire, qui fait sans cesse remonter le passé dans le présent. Mais cette fragmentation révèle aussi les inégalités du roman : certaines sections brillent par leur justesse et leur profondeur, tandis que d’autres s’alourdissent de satire ou s’égarent dans l’excès.

La partie la plus faible, selon moi, est celle où Chip travaille comme promoteur culturel en Lituanie. Ce qui devait être une comédie noire glisse vers la caricature. La Lituanie post-soviétique y apparaît comme un territoire de truands sans substance, une vision condescendante et assez éloignée du réel. L’humour, ailleurs incisif, devient ici pesant et presque grinçant.

Franzen se rachète toutefois dans les chapitres décrivant l’affaiblissement d’Alfred, emporté par la maladie de Parkinson. Ce sont des pages d’une grande humanité, sobres, douloureuses, qui disent la fragilité du corps et la persistance de la dignité. Elles restent longtemps en mémoire, bien après que la satire s’est dissipée.

En fin de compte, "Les Corrections" est un roman profondément humain, quoique inégal. Il navigue entre ironie et compassion, éclairs de génie et débordements. Mais malgré ses failles, il demeure une méditation puissante sur la famille, la mémoire et ces petites corrections douloureuses par lesquelles nous tentons, un jour ou l’autre, de remettre un peu d’ordre dans nos vies.